Cahier d’un retour au pays natal
Par ce long poème flamboyant, incantatoire et libre, où les mots sont pulsés, visionnaires et métaphoriques, en assemblages complexes qui fouettent le sens, Aimé Césaire s’adresse en 1939 à son pays, les Antilles, pour lequel il revendique l’existence d’une nature nègre éternelle, motif de dignité et de révolte face à la volonté coloniale française d’imposer sa vision assimilationniste. Césaire invente cette forme poétique comme une esthétique de sa pensée politique.
Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : Embrassez-moi sans crainte… Et si je ne sais que parler, c’est pour vous que je parlerai.
Et je lui dirais encore :
Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir.
Et venant je me dirais à moi-même :
Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleurs n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse.